Le Canal de Suez
Exposition au Musée d'Histoire de Marseille
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L’isthme de Suez, au croisement de l’Afrique, de l’Europe et de l’Asie, s’inscrit dans la mythologie et l’histoire la plus ancienne mais également dans la géologie. Il se situe au centre de la dépression du grand Rift, qui s’étend des grands lacs africains à la plaine de la Bekaa au Liban, en passant par la vallée du Jourdain, la mer Morte et la mer Rouge. Il relie les grands empires de Mésopotamie à l’Égypte des pharaons irriguée par les crues du Nil. Le pharaon Sésostris III (XIXe siècle av. J.-C.) aurait le premier fait creuser un canal entre le Nil et la mer Rouge. Cette voie navigable permit de faciliter le transport des denrées même si la navigation se heurtait à des difficultés d’entretien liées à un ensablement régulier. Par la suite, il fut restauré vers 519 av. J.-C. par le Perse Darius 1er, alors maître du pays, par le pharaon d’origine grecque Ptolémée II Philadelphe (282-246 av. J.-C.), puis, avec un trajet différent, par l’empereur romain Trajan et enfin, en 643, par ‘Amr ibn al-‘As, conquérant de l’Égypte. Au VIIIe siècle, dans une période de conquêtes et de fermeture des frontières, ce canal est définitivement abandonné. En 1498, six ans après la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb, le Portugais Vasco de Gama ouvre la voie maritime du sud de l’Afrique pour rejoindre les Indes. Venise avait fondé son existence et sa fortune sur le commerce avec l’Orient. Les caravanes venues d’Extrême-Orient déversaient leurs richesses sur ses navires en Méditerranée. La Sérénissime comprit aussitôt la menace de cette voie concurrente. Pour conserver cette mainmise commerciale, il aurait suffi de percer l’isthme de Suez qui appartenait à l’Égypte. En 1504, Venise en fait la proposition au sultan mamelouk, mais en vain. En 1586, l’Empire ottoman, nouveau maître de l’Égypte, reprend à son compte l’idée et la soumet aux Vénitiens. Trop compliquée techniquement, elle est à nouveau abandonnée
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Les Vénitiens présentent leur projet de canal au sultan.
Giulio Carlini. 1869. Huile sur toile.
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Carte de l’Asie.
Visscher. XVIIe siècle. Gravure sur cuivre colorisée.
En 1769, la suspension du monopole de la Compagnie des Indes orientales ouvre à Marseille l’accès à l’Asie par le cap de Bonne-Espérance. Les Marseillais envoient vers l’île Bourbon, l’île de France et l’Inde du vin, de l’eau-de-vie, de l’huile d’olive et du corail. Sur place, leurs navires se chargent de café, de bois, d’épices, de cotonnades et de soieries. Mais ce commerce « d’Inde en Inde » demande des capitaux considérables qu’il faut immobiliser environ deux années. Jacques Seimandy, l’un des plus grands négociants marseillais tente à partir de 1778 de créer une « Compagnie de Suez » afin de bénéficier d’un itinéraire plus avantageux. Mais son projet n’aboutira pas. Pour l’expédition d’Égypte menée par Bonaparte entre 1798 et 1801, les Marseillais apportent, en même temps qu'une partie de leur flotte, une précieuse contribution comme celles de l’interprète Venture de Paradis ou du négociant Charles Magallon. Les études alors menées par Jacques Marie Le Père dans l’isthme de Suez concluent à une différence de niveau de 9 mètres entre la mer Rouge et la mer Méditerranée. Cette invasion militaire crée les conditions favorables à la conquête du pouvoir, cinq ans plus tard, par Mehemet Ali, fondateur de l’Égypte moderne. En 1846, les saint-simoniens menés par Prosper Enfantin fondent la Société d’études du canal de Suez. Ils croient au progrès technique vecteur de bonheur et de prospérité. Sur les bases de nouvelles recherches menées notamment par Linant de Bellefonds, ils corrigent l’erreur de calcul du niveau des mers. Ces initiatives couplées à l’émergence de la navigation à vapeur constituent un nouvel espoir pour la cité phocéenne. Mais Mehemet Ali décline leurs projets, craignant qu’ils n’attirent les convoitises extérieures au détriment de l’indépendance de l’Égypte. Pendant ce temps, les Britanniques organisent des correspondances caravanières entre Alexandrie et Suez dans l’attente de l’ouverture de la ligne ferroviaire. Et en 1862, la Compagnie de navigation des Messageries impériales ouvre une ligne entre Suez et Shanghai, avec une prolongation vers Yokohama deux ans plus tard. Certains produits viennent nourrir les routes commerciales passant par Marseille, comme les soies et les graines oléagineuses, même si en 1869 la fortune asiatique de la ville doit encore être inventée.
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Carte de l’isthme de Soueys.
Jacques-Marie Le Père. Gravure à l’eau-forte. Le Père est un des savants qui participent à la campagne d'Égypte menée par le général Bonaparte. Il est chargé d’étudier la possibilité de percer l'isthme de Suez et de relier les deux mers.
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Portrait de F. de Lesseps vice-consul à Alexandrie.
École française, 1835. Aquarelle et rehauts de gouache sur papier.
Ferdinand de Lesseps, consul de France en Égypte de 1833 à 1837, prend connaissance du projet de canal des saint-simoniens. Il noue de bonnes relations avec Mehemet Ali, sympathise avec son fils Saïd qui succède à son père en 1854. Il rencontre également des personnalités venues de Marseille comme le docteur Antoine Barthélémy Clôt, chargé de la réorganisation des services sanitaires et hospitaliers du pays. Saïd Pacha accorde à Ferdinand de Lesseps, le 30 novembre 1854, la concession l’autorisant à percer l’isthme de Suez. Le plan est conçu par divers ingénieurs, dont Alois Negrelli. Il est adopté en 1856 par une commission d’experts internationaux, en dépit de l’opposition de la Grande-Bretagne. La Compagnie universelle du canal maritime de Suez, dont 44% des parts reviennent à l’Égypte, est créée en 1858.
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L’inauguration du canal de Suez.
Mahmoud Saïd (1897-1964). 1947. Reproduction, prêt du Consulat Général d’Égypte à Marseille. La peinture originale, une toile de plus de 4 mètres de longueur, est présentée au sein du musée consacré au peintre à Alexandrie. Mahmoud Saïd est considéré comme l’un des pionniers de la peinture moderne arabe. Il offre ici une représentation très théâtralisée de la cérémonie d’inauguration avec au premier plan, le khédive Ismaïl, l’empereur François-Joseph d’Autriche et l’impératrice Eugénie. Au sein du cortège, on peut noter les figures de Ferdinand de Lesseps et de l’émir Abd-el-Kader.
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Cérémonie d’inauguration du canal de Suez à Port-Saïd, le 17 novembre 1869.
Édouard Riou, 1896. Huile sur toile.
Ismail Pacha (1830-1895), khédive et vice-roi d’Égypte, a repris et mené à bien l’œuvre entreprise par son oncle Saïd Pacha (1822-1863). Les travaux, commencés en 1859, sont achevés dix ans plus tard. C’est, pour lui, le symbole de l’entrée de l’Égypte dans la modernité et l’autonomie vis-à-vis de l’Empire ottoman. Il invite les têtes couronnées de la planète à l’inauguration qui a lieu le 17 novembre 1869 à Port-Saïd et se poursuit pendant plusieurs jours à Ismaïlia, puis à Suez, sur la mer Rouge. Une flottille bigarrée d’une centaine de navires, précédée par l’Aigle, bateau de l’impératrice française Eugénie, parcourt le nouveau canal de Suez. La cérémonie s’affirme comme un moment fort de la représentation orientaliste du pays qui transparaît dans les peintures de Charles-Théodore Frère. Le canal y est présenté comme un pont jeté entre le passé et le présent et permet un retour aux sources antiques du pays. Les milliers d’invités sont reçus en grande pompe entre chameaux et chevaux, sous des palais de toile somptueux. Les Marseillais sont largement représentés, notamment par Jules Pastré et Jules Charles-Roux. Le temps est comme suspendu. On rêve d’Orient, on s’ouvre au cosmopolitisme. Un monde universel est-il sur le point d’éclore ? Très rapidement, le canal est un succès. Alors qu’il fallait prévoir deux à trois mois de navigation par le cap entre Marseille et Bombay, un mois environ suffit en passant par l’isthme dès 1870. L’Asie de la Compagnie marseillaise Fraissinet est le premier vapeur à remonter le canal du sud vers le nord en janvier
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Voyage de l’impératrice Eugénie.
Théodore Frère. 1869. Aquarelle. Passage sur un pont.
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Voyage de l’impératrice Eugénie.
Théodore Frère. 1869. Aquarelle. Promenade de l’impératrice Eugénie en chameau dans le désert
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Voyage de l’impératrice Eugénie.
Théodore Frère. 1869. Aquarelle. Halte au bord du Nil la nuit.
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Voyage de l’impératrice Eugénie.
Théodore Frère. 1869. Aquarelle. Promenade, sphinx et pyramide
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Mehemet Ali, vice-roi d'Égypte.
Auguste Couder. 1840. Huile sur toile.
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Portrait d'Antoine-Barthélémy Clot-Bey (Grenoble 1793 - Marseille 1868.
Anonyme. Huile sur toile. Vers 1860.
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Portrait de Jean-Baptiste Pastré.
Ernest Hébert. 1851. Huile sur toile. Jean-Baptiste Pastré se rend en Egypte dès 1823, il y séjourne jusqu’en 1835, devient l’ami de Mehemet Ali et ouvre de nombreux débouchés au com
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Buste de Jules Charles-Roux.
Denis Puech. 1907. Marbre. Il fut vice-président de la Cie universelle du canal maritime de Suez à la fin du XIXe siècle et son fils François président de 1948 à 1956
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Mohammed Saïd Pacha, vice-roi d’Égypte de 1854 à 1863.
Charles Auguste Arnaud. XIXe siècle. Marbre.
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Buste de Ferdinand de Lesseps.
Auguste Maillard XIXe siècle. Marbre. Souvenir de Ferdinand de Lesseps et du Canal de Suez
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Plan-relief du canal.
Charles Muret. France. 1878-1900. Bois, piètre, poudre de soie, métal, textile, pierre. Le plan en relief du canal de Suez fut commandé pour l’exposition universelle de Paris de 1878. Il est présenté de nouveau à celles de 1889 et 1900. Pour l’évènement de Paris en 1900, il est largement actualisé à la demande de la Compagnie universelle. C'est ce dernier état qui est visible aujourd'hui.
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Plan-relief du canal.
Charles Muret. France. 1878-1900.
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Plan-relief du canal.
Charles Muret. France. 1878-1900.
Durant les années 1850, les Marseillais soutiennent le projet avec un grand enthousiasme. Marseille rêve en effet de devenir la plaque tournante du trafic entre la Méditerranée et l’Asie et l’avant-port de Londres. Aux délibérations de la municipalité et de la Chambre de commerce qui adhère en 1847 à la Société d’études créée pour la réalisation du canal, s’ajoute la campagne de presse du journal Le Sémaphore destinée à provoquer l’affluence des capitaux. Dans les Bouches-du-Rhône, la souscription aux actions de la Compagnie universelle du canal remporte un certain succès : 15178 titres trouvent acquéreur. Eugène Rouffio, négociant et industriel y joue un rôle central en mettant à disposition les bureaux de sa maison de commerce. Jean-Baptiste Pastré, présent en Égypte depuis 1823, et ses frères prennent part à la formation d’un pool financier, tandis qu’Albert Rostand, cofondateur des Messageries nationales, apparaît comme un proche collaborateur de F. de Lesseps. En avril 1865, à l’occasion d’une visite sur le chantier, les émissaires de la Chambre de commerce, Sébastien Berteaut et Jules Charles-Roux, alors tout juste âgé de 24 ans, sont particulièrement sensibles au gigantisme des travaux.
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Plan-relief du canal.
Charles Muret. France. 1878-1900.
La ratification de l'acte de concession en mai 1855 et la création de la Compagnie universelle du canal maritime de Suez consacrent la réalité d'une liaison directe entre la mer Rouge et la Méditerranée. Le chantier débute en avril 1859 et dure plus de dix ans, sous la conduite de François Voisin, ingénieur des Ponts et Chaussées. Creusé principalement à main d'hommes les premières années, il devient vite le terrain d'une innovation constante en ingénierie mécanique. Les travaux, colossaux, sont particulièrement compliqués dans cette région désertique, du fait du manque de main d'œuvre et des difficultés d'approvisionnement, notamment en eau douce. Pour pallier l'insuffisance de bras, le vice-roi Saïd Pacha propose le recours à la corvée. Tous les mois, environ 25 000 fellahs (paysans) sont obligés de venir travailler sur le chantier. Leurs conditions de travail sont particulièrement déplorables et leurs outils rudimentaires. Plusieurs dizaines de milliers meurent. Sous la pression internationale, Napoléon III rend un arbitrage en faveur de l'abolition de la corvée en 1864, mais exige de l'Égypte une compensation financière pour dédommager la Compagnie. La mécanisation du chantier s'accélère alors. On développe des machines innovantes pour excaver, dégager les déblais, terrasser. La drague devient ainsi l'engin emblématique du creusement du canal.
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Vue panoramique de l’isthme de Suez et tracé direct du canal des deux mers.
Louis Maurice Adolphe Linant de Bellefonds et Hubert Clerget. 1855. Lithographie.
La proximité avec le chantier égyptien érige le port de Marseille au rang de base logistique, offrant de nombreuses opportunités aux armateurs. Des secteurs de pointe de l'industrie provençale sont mobilisés. Les Forges et Chantiers de la Méditerranée fournissent des grues à vapeur ou des dragues, tandis que les frères Dussaud construisent entre 1864 et 1869 les jetées en blocs artificiels de Port-Saïd. La compagnie Savon frères s'y installe en 1865 pour procéder au déchargement des matériaux provenant de la cité phocéenne. La compagnie Daher livrera également des quantités considérables de ciment. Mais sous l’effet des retards concédés sur le chantier se manifestent les premières dissensions au sein des milieux d’affaires marseillais : tandis que les Charles-Roux restent optimistes, les Marseillais implantés en Égypte, comme les Pastré, se montrent plus réservés car le canal ne passe pas par Alexandrie et qu'il va aggraver la concurrence avec d'autres ports méditerranéens comme Trieste, Gênes et Smyrne.
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Portrait en buste de Linant de Bellefonds.
Vers 1865. Épreuve sur papier albuminé Collection Pascale Linant de Bellefonds. La photographie a été réalisée au Caire, peut-être par Gustave Le Gray.
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Portrait de la famille Dussaud.
Emile Defonds. 1856. Huile sur toile.
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Le chantier n°6.
L’eau de la Méditerranée arrivant dans le lac Timsah, le 18 novembre 1862 François Pierre Bernard Barry, 1863. Huile sur toile. Elève d’Aubert à l’école de dessin de Marseille, Berry accompagna Jules Charles Roux en 1862 pour visiter et peindre le percement du canal
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Travaux hydrauliques maritimes.
Planche III. Esprit Latour et Auguste Gassend. 1860. Chromolithographie.
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L'Usine des Forges et Chantiers de la Méditerranée à Menpenti..
J. David. 1889. Photographie sur papier albuminé
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Première moitié XXe siècle .
Logements ouvriers de la compagnie en 1932 ; La jetée de Port-Saïd et la statue de Ferdinand de Lesseps ; Vue aérienne de Port-Tawfîq ; Vue aérienne d’Ismaïlia à droite. Tirages modernes.
En parallèle des travaux de percement du canal, la concession prévoit la création de trois nouvelles villes : une extension du vieux port de Suez sur la mer Rouge (Port-Tawfiq) et deux villes bâties ex-nihilo, Port-Saïd sur la Méditerranée et Ismaïlia, à mi-distance des deux mers, sur le lac Timsah. L’exploitation de ces sites, inhospitaliers, nécessite le creusement d’un canal d’eau douce. Celui-ci reprend le tracé du canal antique.
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Voyage d’un excursionniste marseillais à Suez.
Eugène Isnardon Vers 1900. Tirage moderne.
La ville ottomane ; embarcations traditionnelles avec, à l’arrière-plan, le pavillon de plaisance du khédive ; le paquebot Djemnah des Messageries Maritimes à quai ; résidence administrative de la Cie construite en 1892 le long de l'ancienne avenue Hélène.
Ismaïlia est la capitale administrative du canal où résident les cadres de la Compagnie. Le plan de ville correspond à une organisation rationnelle de l’espace, composé selon un schéma commun à d’autres villes coloniales. Trois quartiers se développent à partir de la place principale : le quartier européen au centre, le quartier grec à l’est et à l’ouest le quartier arabe. Les ports maritimes sont quant à eux essentiellement peuplés d’ouvriers grecs et égyptiens. Port-Saïd joue le rôle de grand magasin du Moyen-Orient, accueillant les marchandises et les denrées redistribuées en Méditerranée. Suez voit quant à elle s’installer des raffineries de pétrole, qui s’ajoutent aux traditionnelles activités charbonnières. Pour autant, jusqu’aux années 1920, l’architecture urbaine présente une grande homogénéité. Elle se caractérise notamment par des façades maçonnées précédées d’une véranda de bois ou bordées d’arcades en pierre. En outre, différents monuments et sculptures viennent progressivement orner les rives du canal.
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Projet de phare pour Suez.
Auguste Bartholdi. 1869. Aquarelle et crayon sur papier. Reproduction Christian Kempf.
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Projet de phare pour Suez ou avant-projet pour la liberté éclairant le monde.
Auguste Bartholdi. 1867. Moulage de la maquette. Ayant fait la connaissance de Ferdinand de Lesseps et fasciné par l'aventure du canal, Auguste Bartholdi veut y associer son audace. En 1869, il propose au khédive Ismaïl Pacha le projet d’un gigantesque phare à l’entrée de Suez, représentant une paysanne égyptienne portant une torche au bout de son bras : L’Égypte éclairant l’Orient. Le khédive et Ferdinand de Lesseps ne donnent pas suite. Déçu, Bartholdi retourne en France et transforme son projet. Avec quelques modifications, il réalise finalement la statue la plus célèbre du monde, La Liberté éclairant le monde, dite statue de la Liberté, inaugurée à New-York en 1886.
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Avis d’ouverture du canal au commerce et aux armateur.
Compagnie universelle du canal maritime de Suez. Novembre 1869.
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Paquebot Paul Lecat à Port-Saïd .
Georges Taboureau, dit Sandy-Hook. Début XXe siècle. Gouache et aquarelle sur papier.
La route du canal de Suez devient vite incontournable dans les échanges mondiaux. Elle bouleverse les distances et les temps de trajet entre l’Europe et l’Asie. Le monde rétrécit. Peu propice à la navigation à voile, le canal accélère le développement de la navigation à vapeur, qui s’impose rapidement. Les armateurs doivent s’adapter et, soucieux de rentabilité, ils font construire des bateaux capables de transporter toujours plus de marchandises. Entre 1870 et 1950, le canal est traversé par des bateaux neuf fois plus gros, deux fois plus larges et quatre fois plus longs. Cela procure de nouveaux marchés de réparation et de construction pour l’industrie maritime provençale. Devant l’incessante croissance du tonnage des navires, le canal doit évoluer pour rester concurrentiel. Afin de permettre le passage de bateaux toujours plus nombreux et toujours plus imposants, il faut régulièrement l’élargir, le creuser plus profondément et rectifier ses courbes.
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Paquebot mixte des Messageries Maritimes Le Tigre.
Ex-voto de la chapelle Sainte-Anne n°36. Vers 1865. Huit sur toile. Ville de Saint-Tropez
Le canal permet à Marseille de s’ouvrir à de nouveaux horizons commerciaux maritimes, notamment le Japon, la Chine et l’Indochine. Dans certaines filières, la réduction de la durée et du coût du transport, provoque un déplacement du centre de gravité des circuits d’approvisionnement, un essor de la fonction industrielle de la ville et un raffermissement des échanges coloniaux. C’est ce que l’on constate dans le commerce des oléagineux ou du riz : l’Inde s’impose dès les années 1880 comme le principal marché d’approvisionnement des huileries-savonneries, alors que les arrivages de riz d’Indochine et de Madagascar supplantent rapidement ceux d’Espagne ou d’Italie. D’autres trafics émergent après 1918 : le caoutchouc et surtout le pétrole en provenance du Moyen Orient qui alimente des entrepôts, puis des raffineries autour de l’étang de Berre à partir des lois de 1928 sur la protection du raffinage national, contribuant à l’extension occidentale des bassins marseillais. Lorsqu’éclate la crise de 1956, près
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L’Extrême-Orient par les Messageries Maritimes.
Jean Bouchaud. 1937. Lithographie
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En Méditerranée par les Messageries Maritimes.
Georges Taboureau, dit Sandy-Hook. 1925. Lithographie.
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Compagnie des Messageries Maritimes, paquebots-poste frança.
David Dellepiane. 1910. Lithographie.
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Monument à la défense du canal .
Par Raymond Delamarre. Photographie Djebel Mariam, années 1930. Tirage moderne.
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La Force et l'Intelligence.
Maquette du monument à la défense du canal de Suez. Raymond Delamarre. 1930. Pierre calcaire. En collaboration avec l’architecte Roux-Spitz, Delamarre fut choisi pour ériger près d’Ismaïlia un colossal monument de granit (Hauteur : 45 mètres) commémorant la défense du canal par les armées franco-anglaises contre l’offensive ottomane de 1915. L’inauguration eut lieu en 1930.
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La Force et l'Intelligence.
Les dépenses entraînées par l’ouverture du canal et les lourds investissements du khédive Ismaïl creusent le déficit de l’État égyptien. La Grande-Bretagne rachète alors ses parts dans la Compagnie. L’Égypte perd tout levier de contrôle sur la voie maritime et se trouve dessaisie de ses avantages financiers. En 1882, la Grande-Bretagne réprime la révolte de l’armée égyptienne et occupe le pays. En 1936, les deux pays signent un traité qui reconnaît l’indépendance de l’Égypte mais prévoit le maintien de troupes britanniques dans la zone du canal de Suez. Celui-ci devient vite le symbole de l’impérialisme européen et un enjeu de reconquête nationale. Déclaré neutre et international en 1888, le canal est cependant sous contrôle des principaux protagonistes des conflits mondiaux du XXe siècle. Sa position stratégique rend le respect de sa neutralité difficile à appliquer. Il devient sans conteste une zone d’influence britannique et le cadre de luttes armées impliquant les divers belligérants. En juillet 1952, un groupe d’officiers égyptiens renverse le roi Farouk (1920-1965). Son but est l’indépendance politique et économique de l’Égypte. Gamal Abdel Nasser (1918-1970) en prend la tête et s’affirme comme le leader du panarabisme.
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La Force et l'Intelligence.
Pour financer le haut barrage d’Assouan qui doit fournir l’électricité au pays et permettre l’irrigation, le président Nasser a besoin d’argent. Lorsque les Américains refusent de financer son projet, il décide de nationaliser la lucrative Compagnie, dont les principaux actionnaires sont européens. Le 26 juillet 1956, il annonce la nationalisation du canal de Suez lors d’un discours à Alexandrie. C’est un défi lancé à la face de l’Occident. Partout dans le pays, la foule exulte et l’acclame. Les pilotes égyptiens et grecs assurent la navigation en dépit du boycott de la Compagnie. Hostiles au président Nasser, la France, la Grande-Bretagne et Israël déclenchent une guerre (octobre-novembre 1956), mais les pressions étrangères imposent le retrait de leurs troupes. L’Égypte trouve un accord avec les actionnaires étrangers de la Compagnie pour les indemniser. Deux autres guerres, en 1967 et 1973, ravagent la zone et interrompent la navigation jusqu’en 1975.
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Un nouveau Canal.
Le 5 août 2014, le Président égyptien Abdel Fattah al-Sissi annonce son intention de creuser un deuxième canal, parallèle au canal de Suez, afin de supprimer la circulation alternée des bateaux. Ces travaux impliquent un approfondissement et un élargissement du canal existant sur 37 km. Cette nouvelle voie est inaugurée le 6 août 2015, soit tout juste un an après le début des travaux. L’ambition des autorités égyptiennes dépasse largement les bénéfices attendus d’une augmentation de la circulation sur le canal : cette région doit devenir un centre industriel et logistique international. Dans cette logique, une nouvelle capitale administrative est en cours de construction, à 45 km à l’est du Caire en direction de Suez. Plus de 100 000 hectares doivent être construits, avec une première occupation prévue pour 2019. Cette ville nouvelle surgie du désert recevra à terme plus de 6,5 millions d’habitants. Quant au port de Marseille-Fos, il souhaite se positionner comme la porte alternative d’entrée Sud du marché européen et met actuellement en oeuvre un plan d’investissement de 360 millions d’euros sur 5 ans afin d’accueillir des investisseurs dans le domaine de l’industrie et de la logistique. Dans ce cadre, le canal de Suez est toujours pour Marseille un axe important, la Chine étant le premier client du port pour les conteneurs, avec 2,5 milliards de biens acheminés par an et un trafic en croissance de 8% pour l’année 2017. En mai 2018 un accord de coopération opérationnelle a été signé avec le port de Shanghai, plaçant Marseille ans une position stratégique sur les traces des nouvelles routes de la soie.
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